Aux confins de la région Ile-de-France et des Hauts-de-France, Beaumont-sur-Oise a la particularité d’être une petite ville (10 000 habitants) portant de fortes charges de centralité car située sur un territoire très rural. Donc un pôle culturel au vaste rayonnement mais aussi une municipalité aux prises avec des exigences budgétaires qu’alourdit un important patrimoine au coût d’entretien considérable. C’est également une ville ancienne – Beaumont-sur-Oise vient de fêter son millénaire –, mais profondément marquée par le récent drame dit de « l’affaire Adama Traoré ». Marlène Herlem, maire-adjointe à la culture et au patrimoine, décrit une politique culturelle au double objectif d’apaisement et de rayonnement.
Quelles sont les motivations qui vous ont conduit à vous engager en politique ?
On m’avait déjà proposé… Mais la vie politique ne m’intéressait pas trop. Je n’en avais pas une image très positive. Puis, par mes activités de chargée des expositions pour une association patrimoniale, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’envies, beaucoup de gens motivés, de bénévoles prêts à s’engager, donc beaucoup à faire ; mais nous étions bloqués. Je me suis aperçue que le meilleur moyen pour donner réalité à tout ce potentiel était de passer de l’autre côté de la barrière, du côté politique.
Est-ce difficile de faire reconnaître l’importance de la délégation culturelle ?
Au contraire. Comme on est en permanence en contact avec la population via les événements qu’on peut créer, les gens vous identifient très vite et viennent vous voir pour tout, au-delà même du domaine culturel. L’élu en charge du mandat à la culture est un interlocuteur premier pour la vie municipale, l’une des fonctions où, en dehors de celle du maire – dont il faut préciser qu’il me soutient en tout, à condition que ce soit budgétairement raisonnable –, on est le plus visible.
Comment décririez-vous votre territoire ?
Nous sommes à 40km de Paris, au bout de la ligne du Transilien à 2km de l’Oise. Donc un territoire campagnard, au milieu de rivières, de forêts et de champs. Mais c’est une commune de presque 10 000 habitants, qui rayonne sur un bassin de population assez important englobant les 13 000 habitants de la ville voisine de Persan – au-delà, ce ne sont que de petits villages – et ceux de la ville de Chambly, dans l’Oise. Notre population se déplace sur l’ensemble de ces trois villes.
Quel rôle joue la culture dans ce territoire ?
La culture draine toute cette population. Cette géographie et cette démographie obligent à réfléchir à ce qui manque. Au 19e siècle et jusque dans les années 70, Beaumont était une ville très bourgeoise. Aujourd’hui, elle s’appauvrit énormément et, forcément, l’offre culturelle doit s’adapter à une population qui a de faibles moyens financiers (17% de la population socialement défavorisée). Ici, le rôle de la culture est d’être réunificatrice : permettre aux gens de se rencontrer, de partager, d’échanger et de sortir de chez eux.
Nous sommes organisés en petits quartiers, avec d’un côté un habitat très résidentiel et, de l’autre, des HLM. Il faut rappeler que l’affaire Adama Traoré a véritablement créé une scission dans la ville. Il faut donc réussir à réunir à nouveau tout le monde, que les gens sortent de leurs quartiers grâce une offre culturelle abordable pour tous. Une offre notamment familiale, pour les personnes âgées comme pour les jeunes et leurs parents.
Se réunir, c’est aussi partager une mémoire…
L’association patrimoniale dont je fais partie propose des expositions historiques, notamment sur les nouveaux quartiers HLM. Je sollicite beaucoup la population locale pour récupérer des documents, recueillir des témoignages (une banque d’archives de témoignages oraux sur la vie à Beaumont, par exemple pendant la Seconde Guerre mondiale, est actuellement en construction).
Mais Beaumont a aussi une longue histoire, depuis le Moyen Age, que beaucoup ne connaissent pas. Nous avons célébré cette année les 1 000 ans de notre ville, avec des événements autour du château fort et de l’église, avec une fête médiévale, une journée « Grand Siècle », une évocation des années 30, le moment de la Libération… La célébration du millénaire s’est close par le projet « Nos quartiers ont une histoire », avec des témoignages enregistrés et une création artistique à laquelle ont participé les habitants. Tout a été organisée avec la participation des associations locales et de la population, l’occasion pour tous de se retrouver dans des moments très festifs. Cela a eu beaucoup de succès, notamment la fête médiévale qui s’est tenue en mai, où l’on a eu plus de 10 000 personnes, ce qui nous a beaucoup surpris. A noter que les adolescents – un public difficile à toucher – ont passé le week-end à se promener dans la ville, d’ateliers en animations.
Votre ambition, vos priorités ?
Il y a les souhaits et la réalité… Ambition première : faire rayonner une ville qui était une référence il y a encore 30 ans mais ne l’est plus. Donc inverser la tendance en faisant en sorte que ce soit une ville attractive, où l’on se dit qu’il s’y passe toujours quelque chose, dans le domaine culturel ou dans un autre. La priorité est de créer des événements en insistant beaucoup sur la notion de « culture pour tous », tant par la diversité des propositions que par leur accessibilité financière, voire leur gratuité.
La culture est-elle une manière de redonner une fierté du territoire qu’on habite ?
Les retours pour cette année sont extrêmement positifs. Les gens étaient ravis, surtout après la crise sanitaire, de pouvoir vivre des événements gratuits. Aujourd’hui ils me demandent quelle sera la prochaine manifestation… Nous avons donc réussi à créer une envie, mais peut-être pas encore un sentiment de fierté. Il faudra du temps. A la suite de l’affaire Adama, beaucoup de Beaumontois sont partis, estimant que la ville n’était plus la même. En revanche, tous ceux qui arrivent sont enchantés, car Beaumont-sur-Oise est une ville très active, avec 110 associations, un collège, un lycée, de nombreuses écoles primaires, une piscine, un cinéma… Il y a des activités pour tout le monde.
Quels sont les atouts culturels de votre commune ?
Un patrimoine important : une église du 13e siècle, un château médiéval, le cinéma municipal Art & Essai Le Palace, un établissement connu car il a servi au générique de l’émission « La dernière séance ». Nous avons beaucoup axé ses activités sur le jeune public, avec des « ciné-goûters » et des « ciné-p’tit déj », des animations. Cela fonctionne très bien, notamment avec le scolaire (4 000 enfants cette année), bien mieux que la programmation habituelle, où l’on a encore du mal à faire revenir le public.
Nous avons aussi un amphithéâtre gallo-romain dans le lycée et une auberge du 16e siècle accueillant actuellement la Maison des arts et du patrimoine – une structure municipale qui vit grâce au bénévolat, avec trois associations : la Société des Beaux-Arts qui organise mensuellement des expositions, le Cercle beaumontois du patrimoine qui s’occupe essentiellement d’expositions temporaires historiques et de la partie musée, enfin, les Amis de Beaumont, une association dont l’objectif est de faire vivre les traditions ; elle s’occupe notamment de la vigne de la ville. Beaumont dispose bien sûr aussi d’une médiathèque, située dans l’ancienne mairie, et d’une salle des fêtes qui sert également de salle de spectacle.
Quelle place pour la vie festive ?
Notre politique développe la culture selon plusieurs axes. Lorsque nous sommes arrivés en responsabilité, le marché était moribond. La commande du maire a été de l’animer, de rendre cette ville joyeuse, ce que nous faisons grâce à des concerts les samedis matins. A côté de cet aspect d’animation, nous travaillons à une offre pédagogique, de découverte du patrimoine et, enfin, à une programmation de spectacles.
Mon idéal de vie culturelle à Beaumont serait une vie culturelle qui rayonne et que Beaumont redevienne vraiment un pôle attractif grâce à la culture.
Quelles sont vos principales difficultés ?
Je n’en ai aucune pour la culture. Les habitants sont très demandeurs et je bénéficie du plein soutien de l’équipe municipale, avec une enveloppe budgétaire assez conséquente. En revanche, ma réelle difficulté concerne le patrimoine, car cela coûte très cher. Les quatre monuments classés dont nous avons la charge n’ont pas été rénovés depuis de très nombreuses années. On s’approche de situations d’urgence. Mais il reste très difficile de convaincre l’équipe municipale qu’il va falloir faire quelque chose pour ce patrimoine, qu’il représente un véritable atout pour le rayonnement de notre ville et qu’il faut le rénover… Donc une véritable bataille. Chaque projet de rénovation est estimé à 2 ou 3M€, des sommes colossales pour une commune comme la nôtre.
Vos rapports avec l’intercommunalité ?
Je suis au conseil communautaire mais mes rapports avec l’intercommunalité restent délicats. Lorsque nous sommes arrivés, il n’y avait ni commission sport ni commission culture. J’ai indiqué que la richesse patrimoniale de notre secteur appelait la création d’une commission dédiée et d’une réelle dynamique culturelle. On m’a répondu que cela ne faisait pas partie des « pôles » de l’intercommunalité. Mon maire s’est alors mobilisé pour intégrer la dimension culturelle dans la commission. Elle existe sur le papier mais sans s’être encore jamais réunie…
J’ai donc décidé de m’y prendre autrement, en essayant de démontrer concrètement la nature fédératrice de la culture, avec un événement organisé autour de la Libération de Beaumont pour lequel nous avons recréé un campement de la Seconde Guerre mondiale. Le maire a prononcé un discours du balcon même où le maire d’alors avait fait le sien. La présidente de l’intercommunalité est venue et a vu l’intérêt de la population. Avec ce début de victoire pour 2024 : nous avons reçu un accord de principe au subventionnement du projet de commémoration des 80 ans de la Libération de notre secteur. Je vais aussi poursuivre dans cette voie pour des Journées du patrimoine intercommunales. Cela étant, je n’ai aucun contact avec les élus à la culture des autres communes de l’EPCI, excepté un petit village. Le réseau se fait davantage à l’extérieur de l’intercommunalité qu’à l’intérieur.
Vos rapports le Département, la Région, la DRAC Ile-de-France ?
Nous sommes assez proches du conseiller chargé du patrimoine du département du Val d’Oise, l’un des élus de L’Isle-Adam. Il est partant pour tout. En revanche, le partenariat avec la Région est encore en cours d’élaboration. Quant à la DRAC, les relations sont liées aux projets de rénovation patrimoniale. Au-delà, nous n’avons ni responsable de la médiathèque ni en ce moment de chef de service culture, ce qui ne nous permet pas d’explorer toutes les pistes de partenariat.
Quel serait votre idéal de vie culturelle à Beaumont-sur-Oise ?
Une question très difficile et que je ne me suis jamais posée ! La présidente de l’association patrimoniale dont je fais partie, qui a 90 ans, nous dit que son rêve est de voir arriver des cars de Japonais… Je suis dans une optique un peu similaire. Mon idéal de vie culturelle à Beaumont serait une vie culturelle qui rayonne et que Beaumont redevienne vraiment un pôle attractif grâce à la culture. Ce qui suppose de continuer et d’amplifier dans le sens de ce que nous tentons depuis le début de ce mandat : créer des événements, diversifier l’offre, faire en sorte qu’elle soit abordable et sauvegarder le patrimoine. L’identité d’une ville passe aussi par son histoire.
Quelles sont les raisons qui vous ont conduite à adhérer à la FNCC ? Qu’en attendez-vous de la Fédération ?
A la FNCC, on a vraiment une pluralité de collectivités, de personnes, d’avis. C’est intéressant de pourvoir rencontrer tout le monde, de voir ce que chacun vit au quotidien. Au départ, on est perdu… Depuis que la municipalité est adhérente, je respire ! Ce que propose la Fédération correspond parfaitement à mes attentes. La newsletter, en particulier, permet vraiment de se tenir au courant de tout ce qui se passe dans le monde de la culture, sur les possibilités, les débats, les décisions, les nouveautés… Un outil très précieux. C’est ce que j’attendais en adhérant : un endroit où avoir des informations, des formations et où je pourrais trouver des réponses à mes questions.
Propos recueillis par Vincent Rouillon