Ces dernières années auront été marquées par une intensification des politiques de lecture publique et par l’adoption d’une loi de reconnaissance des bibliothèques et des professionnels qui les font vivre. A la suite de son Assemblée générale, cet été à Avignon, la FNCC a voulu conclure ce « moment bibliothèques » en proposant à ses adhérents un séminaire intitulé « La lecture publique, outil essentiel de la décentralisation culturelle ». Avec deux intervenants : la sénatrice Sylvie Robert, auteure de la loi « Bibliothèques » et le directeur en charge du Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture, Nicolas Georges. Ce temps aura aussi été l’occasion de présenter le Guide, réalisé par la FNCC avec le soutien du ministère, sur les dispositifs d’accompagnement de l’Etat dans ce domaine. Echos.
De la diversité des fonctions et missions de bibliothèques. Les déclarations d’élus de la FNCC manifestant la centralité des enjeux de lecture publique dans leur politique culturelle sont nombreuses et variées. Pour Jessie Orvain, vice-présidente culture de la communauté d’agglomération Mont-Saint Michel Normandie, elle se traduit par un travail au quotidien pour croiser et mutualiser différents services publics. « Nous ouvrons des bibliothèques dans les agences postales communales ou dans d’autres lieux du service public, comme les Maisons de service public. On n’envisage trop, à mon sens, la question des bibliothèques du seul point de vue du lien avec le ministère de la Culture… Une approche plus large s’avère nécessaire car, aujourd’hui, une bibliothèque n’est pas juste une bibliothèque ; elle répond à d’autres enjeux de service. »
Yves Lecoq, maire-adjoint à Arbois, évoque tout particulièrement le lien naturel entre trois équipements : la bibliothèque, l’école de musique et les établissements scolaires. D’où en particulier deux projets : celui d’une médiathèque voisine du Centre d’information et de documentation jeunesse ; « elle est en lien avec la documentaliste du collège, avec une porte permettant aux deux structures de communiquer entre elles : les collégiens la poussent quand ils le souhaitent. » Et cet autre pour rassembler sur un même lieu l’école de musique et la bibliothèque.
Pour Jean-Philippe Lefèvre, vice-président culture du Grand Dole, ce n’est pas tant au travers de la mutualisation des murs que se joue l’avenir des bibliothèques et de ce qu’il propose d’appeler le « service du récit » qu’une redéfinition de leurs missions : « Il faut imaginer une autre façon de penser à ce service du livre pour les années qui viennent. »
Autre écho de la transversalité des enjeux de la lecture publique, celui de l’irrigation territoriale évoquée par May Bouhada, maire-adjointe à Fontenay-sous-Bois. « Nous sommes en train de travailler à un média-bus en participation avec les habitants et les habitantes. Ce projet est traversé par la question des droits culturels mais aussi par celle de l’irrigation d’un territoire un peu particulier, sans centre-ville bien identifié. Je voudrais témoigner que la médiathèque est souvent le lieu de l’innovation pour l’accès à la culture. »
Notant ainsi que « le concept de bibliothèques s’est aujourd’hui considérablement élargi », Florian Salazar-Martin tire de cette multiplicité de projets et de fonctions une réflexion de politique générale. La bibliothèque constitue « l’espace le plus démocratique qui soit du point de vue de la responsabilité publique. On est là sur des politiques territoriales qui croisent ce qui vient de l’intérieur et de l’extérieur. » Evoquant les partenariats exemplaires entre les collectivités et l’Etat que sont les contrats Territoire/lecture, il ajoute ce conseil : « Le ministère ferait bien de s’inspirer de cette démarche pour d’autres domaines. » Puis, saluant la publication du Guide sur les dispositifs d’accompagnement de l’Etat aux collectivités dans le domaine de la lecture publique, réalisé par la FNCC et le service du livre du ministère, il ajoute que les élus disposent désormais d’un nouvel outil pour poursuivre le travail en commun. Ce que confirme Jane-Marie Hermann, maire-adjointe à Viroflay : « L’intérêt de ce document tient à ce que, outre la partie théorique, il présente aussi des fiches très pratiques, illustrées par des exemples, dont les élu.e.s, en particulier ceux qui sont nouvellement élus, sont assez friands car elles couvrent l’ensemble des thématiques auxquelles ont peut être confronté au quotidien dans sa collectivité. »
Pour le président de la FNCC, Frédéric Hocquard, ce n’est pas seulement l’exemplarité du travail entre les collectivités et l’Etat ou la transversalité des enjeux de la lecture publique qui fondent la spécificité du travail des bibliothèques. Si elles sont un atout politique majeur au service des élus, cela tient à la conception même de leur travail que se font les bibliothécaires. Enseignement de la crise sanitaire : « Pendant les confinements, les bibliothèques se sont transformées en lieux de collecte alimentaire ou de fabrication de masques. Les personnels se sont mobilisés, car ils sont dans un rapport différent aux populations. On voit là une sensibilité particulière qui permet de concevoir la bibliothèque comme lieu culturel d’ouverture. La bibliothèque a peut-être réussi à être ces endroits qu’on recherche tant… »
Une loi de reconnaissance. L’ensemble de ces témoignages est venu confirmer le caractère très politique – et non sectoriel – des propos des deux intervenants. Présentant la loi « Bibliothèques » dont elle est l’auteure, la sénatrice Sylvie Robert avait déjà noté que « les élus sont extrêmement attachés à leur bibliothèque, car elle est un véritable lieu de vie qui a su s’adapter de façon incroyable, avec partout des initiatives remarquables. Je remercie la FNCC et le ministère de la Culture pour ces témoignages d’élus publié dans le Guide. »
La sénatrice se félicite que la loi contribue aussi à mettre à l’honneur les bibliothèques et leurs professionnels. « Il était très important pour moi de reconnaître ce premier équipement de France et, avec eux, les professionnels qui les font vivre. On a en effet un peu tendance à surtout parler du spectacle vivant, des arts visuels, en considérant finalement que les bibliothèques vivent leur vie… Mais non, aujourd’hui beaucoup de choses s’y passent et elles sont réellement raccordées à un projet de politique publique à l’échelle territoriale. »
Agenda du Service du livre et de la lecture. Nicolas Georges salue à son tour une coopération entre l’Etat et les collectivités que le Guide Livre incarne via le partenariat du service du livre et de la lecture avec la FNCC. Il élargit ce propos en notant les convergences entre le manifeste de la Fédération « Pour une République culturelle décentralisée » et la conviction qui anime ses services : « La politique de la lecture publique peut être considérée comme exemplaire dans ce qui est un peu l’alpha et l’oméga des politiques culturelles dans notre pays, c’est-à-dire la coopération entre un Etat, qui intervient traditionnellement dans ce secteur, et les collectivités locales qui, depuis de très nombreuses décennies, font de la culture une de leurs priorités. »
Question : comment donner suite à ce travail commun après cinq années de forte visibilité de la lecture publique, avec notamment le plan « Bibliothèques » (« qui a bien fonctionné ») et la loi « Bibliothèques » (« Sylvie Robert a fait atterrir cette loi qu’on attendait depuis des décennies ») ? Sur quoi maintenant travailler ensemble ? A l’agenda, cinq années dédiées davantage à une meilleure structuration dans les territoires :
- Etablir des données fiables sur la fréquentation des bibliothèques – « cela peut paraître étonnant, mais nous ne savons pas combien de gens les fréquentent » – et réaliser une cartographie de la lecture publique, via la publication d’un Atlas, « pour permettre des projections plus stratégiques, avec une identification des territoires sur lesquels il faut insister ».
- Accompagner les élus et les professionnels pour répondre à deux nouvelles exigences apportées par la loi de Sylvie Robert : l’obligation de discussion par les assemblées des collectivités de la stratégie documentaire (« ainsi, ces politiques ne se feront plus à bas bruit, décidées par les seuls professionnels ») et la mise au point de schéma de lecture publique en cas d’intercommunalisation ou de projet départemental.
- Développer les politiques hors les murs des bibliothèques.
- Réfléchir à la problématique du développement durable et de la soutenabilité : « Il faut d’une part construire des normes répondant à ces questions mais aussi mieux réfléchir aux collections et aux politiques d’information par lesquelles les bibliothèques peuvent participer à l’éveil des citoyens en enjeux environnementaux. »
- Préparer le grand débat sur l’information voulu par le président de la République. « Je vous appelle à positionner vos bibliothèques sur ce débat à l’avantage duquel ces services peuvent apporter une contribution fondamentale afin qu’il ne reste pas dans l’entre-soi de l’industrie de la presse. »
Avenir des aides pour l’extension des horaires d’ouverture. Elue à la culture du 1er secteur de Marseille, Agnès Freschel s’inquiète de la fin des aides de l’Etat pour l’extension des horaires d’ouverture. Prévu en effet sur cinq ans, le dispositif – financé par la Dotation générale de décentralisation (dont l’enveloppe devrait être maintenue à 88M€) – touche à son terme, et ce alors mêmes que les perspectives budgétaires ne sont guère optimistes. « La baisse des dotations des collectivités ne va faire qu’accentuer cette situation et nous n’aurons plus les moyens d’ouvrir de nouvelles bibliothèques ni même de garder les amplitudes d’ouverture actuelles. Le dispositif d’aide à l’extension des horaires d’ouverture va bientôt s’arrêter… Qu’en est-il ? »
Nicolas Georges confirme que cet accompagnement va prendre fin. « Nous n’avons pas renoncé à arrêter le programme contractualisé sur cette problématique de l’extension des horaires. » Il ne s’agit cependant pas de perdre le bénéfice d’expérimentations qui ont su prouver à la fois leur faisabilité et leur adéquation aux demandes des habitants. « C’est la base de quelque chose ; continuons-les et rattachons-les au dispositif contractuel plus large du contrat Territoire/lecture pour essayer de mener une réflexion à l’aune d’un territoire. » L’idée de convertir le plan d’aide à l’extension des horaires d’ouverture en projet pour un CTL s’appuie sur cette question : « Que fait-on de ces heures supplémentaires – quelles activités, quelles médiations – pour rendre plus intelligible à la population la décision d’accroître les horaires d’ouverture ? » D’ores et déjà, « la logique du passage entre l’extension des horaires et le CTL semble bien acceptée », comme en témoigne notamment l’engagement de la Ville de Paris.
Conclusion programmatique de président de la FNCC : « On voit assez rapidement se dessiner un combat que nous aurons à porter en commun : le maintien, voire l’augmentation, de l’enveloppe de 88M€ de la DGD. »