La SCET, filiale de la Caisse de dépôts en charge de l’économie mixte, et l’agence en conseil France Muséums mettent en ligne une étude qui constate le grand potentiel touristique de la France mais aussi son insuffisante mise en valeur. Avec diverses propositions qui font apparaître la nature politique d’un projet de tourisme culturel.
La démonstration est limpide : puisque la part de la fréquentation des établissements culturels par les touristes est de 60% – en croissance tant pour ceux de l’intérieur (+19% de 2018 à 2019) que de l’extérieur (+12,8% depuis 2008) –, le constat s’impose quant à l’importance du tourisme culturel pour la France. De plus, cette attractivité a su résister à la fois à la crise financière de 2008, au contexte d’attentats ainsi qu’à la crise Covid.
Ce dynamisme du tourisme culturel se répartit sur divers destinations : 49% des touristes étrangers ont visité l’un ou l’autre des 44 000 monuments ou sites protégés, des 45 biens classés Unesco, des 8 000 musées ou des 500 (estimation basse) festivals. Mais, concentré sur quelques lieux (métropoles et grands sites de renom), il bénéficie qu’à peu de territoires : « Le constat est sans appel : le club fermé des très grands sites capte l’essentiel de la croissance des flux de visiteurs. » Ce que corrobore ces autres chiffres : si 214 musées de collectivités locales ont été créé en 20 ans, cet enrichissement de l’offre n’a pas été suivi d’un accroissement de la fréquentation. Toujours en 20 ans, la part des touristes français fréquentant ces musées a baissé de 10%. « L’analyse rétrospective sur 15 ans atteste ainsi que la croissance des fréquentations est inversement proportionnelle à la distribution par taille des musées. »
De là, deux questions :
- Comment repenser les lieux culturels pour s’adresser d’abord à un public local et par là contribuer à un accès équitable à la culture ?
- Quelle est la taille critique nécessaire pour garantir un effet « destination » et une pérennité de l’équipement culturel dans le temps ?
Le défi de « l’expérientiel ». Aujourd’hui, pour assurer la fréquentation d’un site ou d’un musée et fidéliser un public de proximité (indispensable pour assurer une activité à l’année) tout en attirant des visitateurs venus de l’extérieur, la qualité des collections et l’intérêt des thématiques ne suffit pas, d’autant plus que la concurrence va croissante. Il faut articuler le goût de la connaissance et le penchant à la consommation d’expériences en proposant à un public toujours plus exigeant un accueil de qualité, des expérimentations inédites et une prise en compte de l’intégralité du cheminement touristique. « Relever les défis de l’expérientiel nécessite d’adopter une approche holistique : depuis la prise de décision et le choix de la destination touristique, jusqu’au retour chez soi, l’expérience du visiteur doit être envisagée dans sa globalité. »
Par ailleurs, une destination de tourisme culturel contribuant réellement au dynamisme du territoire doit s’inscrire « dans une tendance vers plus de porosité entre le touriste et la population locale » et « faire du voisin un ambassadeur ». Donc attirer et rayonner. Ce qu’a par exemple bien compris le Puy-du-Fou, une manifestation localement plébiscitée mais qui a créé un pôle de production audiovisuelle et essaimé en Espagne, bientôt en Chine…
Essor de nouvelles formes de tourisme. Deux tendances actuelles peuvent s’avérer favorables au renouvellement des destinations touristiques pour l’heure encore concentrées sur un petit nombre de lieux prestigieux ou de sites balnéaires, au détriment de la diversité du territoire : un tourisme « vert » et un tourisme « expérientiel ».
Le premier, en lien avec la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux, tend à promouvoir le passage du triptyque conjuguant « mer-sable-soleil » vers celui du « patrimoine-paysage-loisirs », ce qui explique en partie le succès de festivals organisés sur des territoires ruraux peu touristiques. Et le second valorise, au-delà du paradigme du monument historique, des sites mémoriels, ce qui est par exemple le cas du tourisme industriel. « Ces « nouveaux » territoires du tourisme présentent un potentiel de déconcentration des flux touristiques, qui répond aussi bien au désir de la clientèle de sortir des sentiers battus qu’aux préoccupations montantes autour du « surtourisme » », mais ils nécessitent de nouveaux opérateurs et de nouvelles approches dont participent « l’augmentation numérique » que pratiquent déjà de nombreux musées et site patrimoniaux.
Vers des lieux culturels augmentés. Fort de ces constats qui concluent à un pays au patrimoine culturel riche et diversifié mais « inégalement mis en tourisme », l’étude préconise une nouvelle génération de lieux culturels à destination des habitants comme des touristes et une hybridation des activités pour un « agenda impactant ». Le modèle des lieux culturels « augmentés » et « hybrides » est déjà connu. Il s’agit des tiers-lieux, avec une offre multiple : des espaces d’expositions, de restauration, une programmation culturelle, des lieux pour le coworking, des commerces éphémères en lien avec le tissu associatif local…
Transposer l’esprit de tiers lieux sur les sites de patrimoine culturel permet « de glisser d’un statut d’équipement monofonctionnel à un lieu de vie pluridisciplinaire, hybride, foisonnant d’activités et générateur d’une économie diversifiée » et de satisfaire autant les habitants du territoire que les visiteurs venus de l’extérieur. « Exigeant et populaire, ce nouveau concept de « lieu de destination » doit résonner avec plaisir autant qu’avec pédagogie, notamment grâce à des expériences immersives et numériques, ludiques, qui désacralisent le rapport au patrimoine, à l’art et aux œuvres. » Des initiatives réussies existent déjà, comme cet opéra qui, tout en maintenant sa programmation classique, propose des activités en famille et des concerts destinés aux publics locaux peu familiers de l’art lyrique.
Du musée au « quartier culturel ». Reste la question de l’argent. Sachant que l’augmentation tarifaire n’est pas d’actualité, l’étude insiste sur la nécessité de mettre en œuvre « une véritable stratégie financière d’exploitation » qui, outre le recours à l’abonnement ou à l’adhésion, peut investir dans des fonctions dites « de loisirs » (escape games, visites à thèmes, expositions ludiques…), mais aussi dans la restauration, l’hôtellerie, la location d’espaces, les boutiques en ligne…
On peut remarquer que la voie du mécénat n’est pas mentionnée, car – et l’étude assure que c’est possible – on peut construire un modèle économique soutenable et pérenne en maximisant les ressources propres (à noter qu’ici, la multiplication du recours au statut de société d’économie mixte/SEM est soulignée par cette étude dont l’un des auteurs est un responsable d’une filiale de la Caisse des dépôts qui promeut l’économie mixte). Ce modèle suppose notamment de passer du site à l’espace dans lequel il se situe, de l’Opéra en-lui-même au « quartier de l’Opéra », de la plage au front de mer, etc. pour créer « une véritable stratégie de création de valeur sur un site ou un quartier ».
Finalement, il importe de penser le tourisme culturel de manière politique, non comme une offre mais comme un projet mêlant urbanisme, culture, environnement, économie. Implicitement, cette étude lance un appel aux élu.e.s locaux pour qu’ils s’investissent pleinement sur des questions qui, si elles semblent a priori techniques, financières ou managériales, sont globales et proprement politiques.
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Culture Patrimoine Tourisme Nouveaux usages, nouvelles opportunités