Créés voilà plus de 50 ans, en 1967, les Parcs naturels régionaux (PNR) ont largement anticipé, avant les « Pays » de la loi Chevènement (1999), un mode de concertation territoriale dont la nécessité s’impose aujourd’hui. Réunissant l’Etat (ministère de l’Environnement, préfets), les communes et leurs groupements, les départements ainsi que la ou les région(s) concernée(s), les PNR apparaissent rétrospectivement comme un prototype des tout récents Conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC), mais dans le champ environnemental. Cela étant, les domaines de compétence respectifs des PNR et des CLTC ont en commun leur dimension transversale. Si, pour les uns, la promotion de la biodiversité et du développement durable est étroitement corrélée à des enjeux économiques, sociaux, touristiques et culturels, il en va inversement de même pour la culture.
Autres prémisses été initiées par les PNR, que traduit très concrètement aujourd’hui la Charte 2011-2023 de celui du Périgord-Limousin, le lien intrinsèque entre biodiversité naturelle et culturelle ainsi que le principe du respect des droits culturels et la recherche de la participation citoyenne.
Cependant, cette approche novatrice de la culture de même que la portée proprement politique des PNR reste mal connues, occultées par l’adjectif « naturel » de leur titre, alors qu’on pourrait aussi les identifier comme des Parcs culturels régionaux – même si, par leur histoire, par leur ministère de tutelle ainsi que par l’étroitesse des liens qu’ils savent développer avec la prise en compte des enjeux écologiques par l’Union européenne, le développement durable et l’écoresponsabilité restent au fondement de leur action. Politiquement, ces « parcs naturels » sont surtout des parcs ruraux œuvrant à l’accompagnement des petites communes dans le cadre d’une solidarité inter-collectivités avec les départements et les régions.
Ainsi, dans le budget d’environ 2M€ du PNR Périgord-Limousin, 140 000€ viennent des départements de la Haute-Vienne et de la Dordogne, 550 000€ de la région Nouvelle-Aquitaine, 130 000€ du groupe communal (communes et EPCI), 100 000 également du ministère de l’Environnement, l’UE pour sa part assurant 1M€ pour le fonctionnement et entre 250 000€ et 500 000€ pour les projets. Là encore, ce partage de moyens financiers, et donc d’ingénierie, correspond au constat récurrent de la nécessité accrue d’une solidarité effective entre collectivités pour conforter le développement des politiques locales en territoire rural.
Entretien avec Lucien Coindeau, président de la commission culture du PNR Périgord-Limousin
Fonctionnement politique des Parc naturels régionaux, projet culturel de celui du Périgord-Limousin… les réponses du vice-président de la commission culture, éducation au territoire et implication des habitants Lucien Coindeau – maire-adjoint à la culture de Saint-Junien et représentant de la FNCC au CLTC de Nouvelle-Aquitaine – et de membres de l’équipe de la commission culture.
Quels sont les places et rôles respectifs des élus des 84 communes et 13 intercommunalités associées, des 2 départements et de la région Nouvelle-Aquitaine dans le projet du PNR ? De l’Etat, de l’Europe ?
La création et le mode de gouvernance des Parcs, qui font leur originalité, sont fondés sur un partenariat entre Etat et collectivités territoriales. Leur fonctionnement favorise la participation des partenaires du territoire (organismes socioprofessionnels, établissements publics, associations…) et les liens avec la population locale, dans le cadre d’un projet de territoire pour la mise en œuvre duquel chaque collectivité adhérente dispose de représentants au sein de l’assemblée du comité syndical (environ 115 membres), en proportion de leur contribution au budget elle-même liée au nombre d’habitants.
Le comité syndical délègue à un Bureau d’environ 40 membres l’administration « au quotidien » du Parc. Son exécutif est constitué d’un président, d’un 1er vice-président et de six vice-présidents qui président chacun une commission thématique. L’Etat n’est pas présent dans la gouvernance. Seules les collectivités membres font partie de l’exécutif, les représentants de l’Etat étant invités à titre consultatif. A noter que, si les élus régionaux et départementaux sont des partenaires privilégiés, les élus des communes du Parc en sont la cheville ouvrière. Enfin, la Région – dont les fonds sont majoritaires – est autorité de gestion pour le fonds européen le plus utilisé par le PNR, le FEDER.
Quels sont les apports, notamment financiers, pour les projets des collectivités associées ?
Les PNR jouent un rôle d’accompagnement des communes de leur territoire et notamment des plus petites d’entre elles, grâce à leur capacité à leur apporter de l’ingénierie, en particulier dans les espaces ruraux. Les PNR construisent des outils pour l’aménagement, l’attractivité, la qualité de vie et le développement durable des communes. Techniquement, le Parc n’apporte pas de fonds mais, outre ses dépenses propres mises au service de tous, mobilise des financements pour le territoire.
La vitalité d’un territoire ne peut plus s’appréhender qu’à la seule lecture de sa croissance économique. Croissance ne signifie pas nécessairement développement. Cette « envie de territoire » qu’apporte la culture, fait qu’on va vivre et travailler là et non ailleurs. Qu’on va entreprendre là et non ailleurs. La culture va permettre de mettre en valeur les talents, les compétences, les richesses des femmes et des hommes et du territoire.
La Charte du PNR Périgord-Limousin souligne que « le Parc est un outil technique pour impliquer les collectivités par la concertation et la contractualisation ». Les espaces de concertation inter-collectivités sont rares…
En effet, les PNR ont précisément été créés pour animer ces espaces interterritoriaux. A la naissance des PNR, la coopération intercommunale étaient peu pratiquée et ils ont rapidement fait preuve de leur capacité à sensibiliser, mobiliser et mettre en mouvement les collectivités locales en créant des liens fonctionnels et socio-administratifs entre les habitants, les associations, les socio-professionnels et les collectivités. Aujourd’hui, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016) consolide la position des PNR en leur confiant un rôle de mise en cohérence des politiques publiques sur leur territoire en application de leur charte.
Peut-on imaginer, pour la culture, un lien avec les Conseils locaux des territoires pour la culture ? Et le principe du PNR peut-il constituer un modèle pour la coopération territoriale ?
Aujourd’hui le PNRPL n’est pas en lien avec les Conseils locaux des territoires pour la culture. Mais, les PNR, par leur ancrage sur le terrain, leurs contacts avec la population et leur connaissance des actrices et acteurs locaux, contribuent à la création de dynamiques locales, que ce soit auprès du public, du monde professionnel et/ou des entreprises ou des associations. En Périgord-Limousin, les collectivités, conscientes que l’occitan a un rôle à jouer dans l’affirmation de l’identité du territoire, ont donné au Parc pour mission d’en faire un pilier du développement local. Le Parc a donc la pratique de fédérer des acteurs de la culture autour d’un projet commun, ici pour travailler à la reconquête du sentiment de fierté des habitants pour leur culture et pour accompagner le projet de développement du territoire.
Le projet de départ des PNR est environnemental. Comment les enjeux environnementaux et culturels s’articulent-ils ? Et éducatifs ?
Le Parc est un outil de développement durable au service du territoire. Malgré son nom de « naturel », qui peut porter à confusion, il se déploie sur les trois piliers du développement durable : environnemental mais aussi social et économique. Les Parcs naturels régionaux ont cinq grandes missions :
- préserver et valoriser les patrimoines naturels et culturels,
- favoriser le développement économique et la qualité du cadre de vie,
- aménager le territoire,
- informer et sensibiliser habitants et visiteurs,
- conduire des actions expérimentales ou innovantes.
La dimension culturelle – que renforce la mission d’éducation des publics, habitants et visiteurs – est donc citée dans la première mission comme élément du patrimoine, au même titre que la nature. Elle a également un rôle important à jouer en tant que vecteur de l’amélioration de la qualité du cadre de vie, du renforcement des dynamiques sociales et du sentiment « d’appartenance au territoire ». L’engagement culturel du Parc constitue l’un des fondements du développement durable.
Concernant l’articulation entre les enjeux environnementaux et enjeux culturels et éducatifs, ces derniers ont pour champ d’action de générer une envie de mettre en œuvre la charte, en s’appuyant sur deux axes de travail : susciter une fierté d’appartenance et faire en sorte que le territoire se sente concerné par ce que fait le Parc. Le lien entre culture et environnement passe par l’accompagnement des habitants dans la découverte et la connaissance du territoire et de ses enjeux, par l’aide aux élus à devenir les porte-parole du projet Parc, par le fait de développer des projets d’éducation au territoire pour le jeune public afin d’enraciner le développement dans la culture du pays en tenant compte de ses particularismes et en en ancrant le développement dans son histoire et dans son évolution. Développer un territoire sans prendre en compte sa culture serait comme faire du « hors sol ».
Quels principes guident votre action ?
L’épanouissement de tous les êtres humains est l’une des cinq finalités du développement durable. La culture s’entend en Périgord-Limousin comme un vecteur de lien social et de partage du projet de territoire. La politique culturelle est le socle sur lequel des politiques de développement peuvent s’arrimer. C’est elle qui donne cette couleur unique et singulière au Parc. C’est elle seule qui peut lutter contre l’effroyable machine à uniformiser paysages et désirs. C’est dans cet interstice que se nouent les chaînes de valeurs, les filières territoriales, le culturel, le social, l’environnemental et l’économique.
La vitalité d’un territoire ne peut plus s’appréhender qu’à la seule lecture de sa croissance économique. Croissance ne signifie pas nécessairement développement. Cette « envie de territoire » qu’apporte la culture, fait qu’on va vivre et travailler là et non ailleurs. Qu’on va entreprendre là et non ailleurs. La culture va permettre de mettre en valeur les talents, les compétences, les richesses des femmes et des hommes et du territoire. Elle est notre meilleur outil pour accompagner le monde d’aujourd’hui dans sa nécessaire transition pour qu’advienne celui de demain. La culture est le premier levier pour stimuler, produire, capter de nouvelles « richesses » sociales, économiques, environnementales.
Pouvez-vous préciser la notion de « stratégie collective de développement culturel » dont il est question dans la Charte ?
Sur le territoire, la culture occitane était prise en main par le monde associatif mais très peu investie par les acteurs du développement local que sont les collectivités, sans approche ou stratégie globale et coordonnée. Les collectivités associées ont demandé au Parc de s’investir dans la préservation de ce patrimoine et il en est devenu un acteur de référence, car chacun n’avait qu’à gagner à une mobilisation collective autour d’un projet structuré.
La mise en œuvre de la Charte, en termes de culture occitane, s’effectue principalement, au regard des relations partenariales, avec les associations (Instituts d’études occitanes, associations culturelles…), les institutions (Région, département de la Dordogne et leurs opérateurs, PNR…), les acteurs socioprofessionnels.
Dans les autres domaines culturels, jusqu’à aujourd’hui le projet du Parc n’entretenait que peu de réelle interaction avec les projets propres aux communes, excepté quand elles prennent conscience que l’identité locale occitane permet de développer l’attractivité de leur territoire. Néanmoins, ces relations se concrétisent actuellement dans le cadre de la candidature au label « Pays d’art et d’histoire » portée par le Parc. Candidature qui repose sur la stratégie collective et globale de développement culturel construite en concertation avec les collectivités du territoire, où chacun de concert s’investira autour de ce projet partagé.
La culture dans la Charte du PNR Périgord-Limousin
Aux côtés de l’amélioration de la qualité de l’eau, de la préservation de la biodiversité, de la lutte contre le changement climatique et de la valorisation des ressources locales, l’un des cinq axes cadrant l’action de PNR concerne la culture : « Renforcer l’identité et les liens sociaux en Périgord-Limousin ». Extraits de la Charte 2011-2023.
Orientation
L’épanouissement de tous les êtres humains est l’une des cinq finalités du développement durable. Le Parc contribue à la valorisation des cultures – et notamment occitane – comprises comme un vecteur de lien social et de partage du projet de territoire.
La nécessité de mise en réseau et de mise en cohérence à travers une stratégie collective de développement culturel s’impose face au constat d’une certaine dispersion dans l’exercice de la compétence culturelle, qui met en scène des collectivités (régions, départements, communautés de communes, communes), et des associations à forte créativité mais aux moyens limités. Il s’agit de :
- réaliser un diagnostic de la pratique et de l’offre culturelle du territoire permettant d’identifier les acteurs, les politiques et les attentes du territoire,
- intensifier les expériences de stimulation des échanges entre les acteurs culturels,
- encourager l’accès de la population aux différentes expressions culturelles (spectacle vivant, art…),
- apporter un appui aux initiatives locales en rendant visible la programmation annuelle par l’édition d’agendas culturels, d’annuaires qui recenseront les informations culturelles,
- favoriser le partage du projet de territoire au travers d’événements culturels.
Engagements des partenaires
- L’Etat soutient le développement culturel en y apportant son concours et en mobilisant ses moyens sur le territoire du Parc dans le cadre de sa politique.
- Les régions reconnaissent le Parc comme un des partenaires majeurs de la structuration de l’offre culturelle sur son territoire.
- Les départements et les Régions s’engagent à apporter un appui au Parc dans son projet de développement culturel. Ils partagent les objectifs de développement culturel et collaborent pour sa mise en place à travers des actions innovantes.
- Les communes et communautés de communes favorisent la construction d’une offre culturelle diversifiée et de qualité avec le Parc et intègrent les valeurs Parc. Elles participent avec l’appui du Parc au recueil de l’information relative à l’offre culturelle du territoire, facilitent la mise en réseau des acteurs culturels et concourent à la promotion de la programmation (activités et événements) sur le territoire du Parc auprès des habitants et des associations.
Votre commission s’appuie sur des « groupes de projet » : culture, occitan, métiers d’art, éducation du territoire, implication des habitants. Un exemple d’action ?
Les actions mises en place sont diffuses et relèvent de la pratique d’animation territoriale : accompagnement des porteurs de projets, sensibilisation des publics (ateliers, chantiers participatifs…). Un exemple, le projet « Nos Cabanes » avec la Compagnie L’Homme debout, envisagé sur plusieurs années, avec des constructions partagées, des recueils de témoignages et des enregistrements radiophoniques autour d’un spectacle festif conçu comme le point de départ d’une dynamique citoyenne.
« Nos cabanes » est l’occasion de valoriser un ensemble patrimonial commun, de révéler notre unité territoriale et humaine ainsi que de donner la parole aux habitants autour de nos enjeux et spécificités ainsi que du projet porté par le Parc. Son processus de création est ancré dans une collaboration qui engage les habitants dans une aventure humaine, artistique et collective.
A l’heure où le Parc entre en révision de sa nouvelle charte, cette proposition se présente comme un projet commun et fédérateur. Il concourt à intensifier les expériences de stimulation des échanges entre les acteurs culturels, à encourager l’accès de la population aux différentes expressions culturelles (spectacle vivant, art plastiques…), à favoriser le partage du projet de territoire au travers d’événements culturels, à valoriser les savoir-faire métiers d’art en encourageant la création et l’échange avec le public ainsi qu’à encourager les expressions contemporaines, la création et l’innovation en matière de culture occitane.
Associer des citoyens dès le début de la construction du projet permet d’identifier les sujets prioritaires pour les habitants, les messages qu’ils souhaitent porter auprès du Parc, de partager leur vision des enjeux à venir… Tant de questions et bien d’autres que la révision de la charte permettra de poser au cours de ces prochaines années.
Propos recueillis par Vincent Rouillon