La sénatrice Catherine Morin-Desailly (UC, Seine-Maritime) et le sénateur Louis-Jean de Nicolaÿ (LR, Sarthe) ont rédigé au nom de la commission des Affaires européennes le rapport “Pour une politique européenne du patrimoine renforcée au service de l’attractivité des territoires“. Il a donné lieu à une proposition de résolution, adoptée à l’unanimité, qui invite le Gouvernement à soutenir les orientations du rapport « et à les faire valoir dans les négociations en cours et à venir au Conseil ».
Le projet de renforcement de la politique patrimoniale de l’Union européenne ne part pas de rien. Il s’appuie notamment sur le label “patrimoine européen“, porté en 2005 par le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, ainsi que sur des dispositifs élaborés par le Conseil de l’Europe, tout particulièrement sur les 45 “Itinéraires culturels européens“, dont 32 passent par la France. Des itinéraires, appelés “routes de l’Europe“, qui débordent les frontières des 27 pays l’UE.
C’est en effet par un vibrant éloge de l’unité européenne patrimoniale à laquelle contribuent notamment ces itinéraires européens que les sénateurs ouvrent leur rapport : « Oui, il existe une Europe des cathédrales, une Europe des monastères, une Europe des pèlerinages, une Europe des universités, une Europe des théâtres et des opéras, comme il y a une Europe des foires, une Europe des châteaux, des places fortes et des collines inspirées, une Europe des places de villages et des cafés, mais aussi une Europe des bassins miniers et des ports de pêche. Agrégés, tous ces legs vivants de notre histoire commune forment le visage singulier, reconnaissable entre tous, de notre Europe, au fond si unie dans une telle diversité. »
Au-delà de l’Union européenne. Dans le contexte actuel de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de la demande par Kiev d’une perspective d’intégration dans l’Union européenne, une remarque en faveur du renforcement et de l’extension du label “patrimoine européen“ résonne avec force. Les sénateurs, en effet, en regrettent les critères trop restrictifs, car ce label, pour le moment limité aux pays membres de l’UE, « pourrait prendre tout son sens pour des sites européens de pays ayant une perspective de rapprochement avec l’UE ».
D’où cette proposition : « Créer une Liste du patrimoine européen articulée notamment sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco et les itinéraires culturels du Conseil de l’Europe », qui déclinerait les “Merveilles de l’Europe“, les “Mémoires de l’Europe“ et les “Fiertés de l’Europe“, en incluant « le “petit“ patrimoine, tels les lavoirs, calvaires, croix, etc., mais aussi le patrimoine immatériel tel que les savoir-faire artisanaux régionaux, qui font la diversité de l’Europe. Les différents niveaux seraient reliés entre eux par les “routes de l’Europe“ ».
Rôle cardinal des collectivités. Mais cette préconisation en faveur d’une politique patrimoniale européenne extensive faisant référence au Conseil de l’Europe et à l’Unesco se conjugue avec une attention accrue aux territoires dans leur diversité. Les sénateurs mettent en avant l’exemplarité du label territorial “Petites Cités de caractère“ dont l’association est présidée par la sénatrice Françoise Gatel (UC, Ille-et-Vilaine), également présidente de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat. L’une des principales perspectives du rapport est ainsi « d’affirmer le rôle des collectivités territoriales dans la politique patrimoniale européenne pour développer l’attractivité des territoires européens », c’est-à-dire le tourisme.
Dans cette perspective d’une Europe des territoires – et non seulement des nations –, le rapport suggère de fédérer les élu.e.s en faveur du patrimoine et de « créer un réseau européen des cités et territoires de caractère ».
Un nouveau départ. Les sénateurs constatent que si l’Europe du patrimoine a déjà une certaine réalité, celle-ci s’est construite de manière pointilliste, par adjonctions successives et peu coordonnées d’initiatives et de dispositifs divers, avec un évident manque de visibilité, de lisibilité ainsi que de financement. En somme, l’UE reconnaît de fait, de manière pour ainsi dire passive, des éléments certains d’une identité européenne du patrimoine mais n’a pas encore su s’en saisir et les valoriser pour créer une volonté partagée et incarner une réalité commune. Construite sur l’économie, elle y a vu davantage des ressources qu’un sens.
Forts de cette prise de conscience de l’identité patrimoniale européenne, antérieure au conflit ukrainien mais que ce conflit renforce comme une réponse concrète à un sentiment d’appartenance européenne de plus en plus prégnant, les sénateurs proposent, à l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Europe, une refondation en profondeur des politiques européenne tant en faveur du patrimoine matériel qu’immatériel, monumental que paysager. Une refondation qui peut d’ailleurs s’appuyer sur l’augmentation de 63% (à 2,44Mds€) du budget du programme “Europe créative“ pour la période 2021-2027 par rapport au programme précédent (2014-2020). Et aussi sur le projet du “Nouveau Bauhaus européen“ voulu par la présidente de la Commission européenne, qui « apporte une dimension culturelle au Pacte vert pour l’Europe ».
Créer une Europe du patrimoine. Même s’il est beaucoup question de “renforcement“ (de la visibilité, des financements, de la communication…) ou d’extension (du label patrimoine européen, des itinéraires européens…), ou encore de réorganisation budgétaire (des programmes FEDER, Interreg, Leader…), il s’agit essentiellement d’inventer de nouveaux outils :
- création d’un réseau européen des cités et territoires de caractère,
- création d’un Loto du patrimoine européen,
- création d’une Fondation européenne du patrimoine,
- création d’un Fonds de sauvegarde du patrimoine en péril (« qui pourrait s’étendre aux phénomènes naturels prévisibles et inéluctables, telle l’érosion du trait de côte » et « être aussi ouvert au patrimoine menacé ou abîmé par les actes de guerre, y compris dans les pays du partenariat oriental, comme l’Ukraine »),
- création d’une Académie européenne du patrimoine, notamment pour rendre les métiers et savoirs du patrimoine attractifs,
- création d’une plateforme de numérisation et de développement d’application mobiles dédiées au patrimoine,
- création d’une aide à la traduction et à la publication sur tous supports pour la promotion du patrimoine européen…
Conclusion du rapport : « Puisse la présidence française fournir l’occasion de raviver l’élan européen en faveur du patrimoine, qui constitue un lien fort entre tous les Européens : un véritable plan de reliance ! » Du point de vue culturel aussi, l’Europe est en pleine mutation.