Journées d’Avignon 2021 de la FNCC. L’idée était que les élu.e.s entendent différentes voix d’initiatives militantes en faveur de l’égalité femme/homme – étudiants, matermittentes, mouvement H/F, structures professionnelles, artistes – et que ces acteurs prennent davantage connaissance de l’engagement des uns et des autres. Mais aussi de se mobiliser collectivement pour que le moment de relance de la vie culturelle après les fortes restrictions dues à la crise sanitaire n’oublie pas l’enjeu central de la parité dans le monde de la culture. Thème de la table ronde organisée par le groupe de travail sur l’égalité de la FNCC au Conservatoire d’Avignon le 17 juillet : “La reprise dans la culture à l’ère de l’égalité femmes/hommes”. Synthèse.
Quinze ans après le rapport de Reine Prat (2006), le président de la FNCC introduit la rencontre par ce souvenir : « Il y a quelques années déjà, de nombreux débats sur l’égalité femme-homme se tenaient à Avignon. C’était alors un peu à la mode. Ça l’est moins aujourd’hui même si les choses n’ont pas forcément beaucoup évolué depuis. Parfois même elles ont reculé. » L’ère de l’égalité femme/homme reste à venir.
A cette réminiscence du passé, May Bouhada, adjointe à la culture de Fontenay-sous-Bois et membre du Bureau de la FNCC, ajoute un constat actuel : « La pandémie de la covid a eu un impact sidérant et questionnant. Il était très important pour la FNCC de dire que l’égalité femme/homme n’est pas une question secondaire en ces temps difficiles. » Sans des mesures volontaristes, dont l’imposition d’objectifs chiffrés de progression aux structures culturelles et aux équipes artistiques subventionnées, « nous n’atteindrons pas l’égalité avant 200 ans ». Frédéric Hocquard esquisse un horizon un peu moins lointain – « Je ne sais pas si c’est le rocher de Sisyphe, si dans 20 ou 30 ans on en sera encore là ; peut-être peut-on formuler le vœu qu’en 2050, on ait atteint l’égalité parfaite… »
Garder la flamme. Convaincu de la nécessité persistante d’une mobilisation en faveur de l’égalité femme/homme, le groupe de travail de la FNCC, coanimé par les élues d’Aubervilliers et de Fontenay-sous-Bois, a choisi d’inviter largement afin de faire se rencontrer des personnes dont les engagements demeurent souvent isolés les uns des autres alors même qu’ils œuvrent dans une direction commune. L’écoute de paroles diverses et leur mise en dialogue s’imposent d’autant plus que le mouvement #MeToo a pu concentrer l’attention sur les violences sexuelles et sexistes au détriment d’autres approches, économiques, législatives ou esthétiques.
« Il est important, pour que l’élan ne s’essouffle pas, de persister à faire comme si on en était toujours au début du chantier parce que bien des personnes ne se sont pas encore inscrites dans la dynamique de sauter le pas d’aller poser les questions aux bonnes personnes. On sent parfois un certain relâchement », convient Princesse Granvorka : « Il faut garder la flamme. » Et pour qu’elle reste vive, tous les foyers de vigilance doivent être entretenus, « le combat pour l’expression des femmes comme celui contre les violences de genre et pour l’égalité réelle. C’est pour cela que nous voulions se faire rencontrer ici des gens divers, avec des regards et des entrées différents. » (May Bouhada). Frédéric Hocquard conclura : « N’opposons pas ce qui se passe ici ou là ; tout doit être mis en mouvement, notamment les traductions sur le plan légal mais aussi les mobilisations des acteurs. »
Matermittentes. Premières à prendre la parole, Amandine Thiriet et Elise Hote, membres du Collectif des matermittentes, décrivent une situation de précarité directement corrélée à un manque d’attention envers les femmes, en l’occurrence les futures mères. Avec des conséquences immédiates, financières et psychologiques, mais aussi, à terme, un impact négatif sur la carrière professionnelle des artistes ou techniciennes. « Les violences sexistes comprennent aussi les questions de l’embauche des femmes quand elles ont un enfant. Et de ce côté-là, il n’y a absolument pas d’évolution. La discrimination à l’embauche de la mère artiste avec son jeune enfant est étroitement corrélée à la problématique des violences sexistes. » Une discrimination que redouble donc une insuffisance de droits aux moments des grossesses.
En contexte normal, pour que les intermittents (emploi discontinu) puissent accéder aux droits sociaux (chômage, arrêts maladie, congés maternité), il faut avoir travaillé 150 heures dans les trois derniers mois ou 507 heures dans l’année précédant l’arrêt. Une clause de “rattrapage” permet cependant une prolongation provisoire prévue, initialement pour 3 mois, puis portée à 6 mois, du versement des allocations chômage en cas de nombre d’heures travaillées insuffisant. Du fait de la crise sanitaire et de la fermeture totale ou partielle des scènes de diffusion, bon nombre de femmes enceintes se sont retrouvées confrontées à une privation de leurs droits. Avec de surcroît une impossibilité légale de travailler de deux semaines avant la grossesse et six semaines après. Ce qui peut entraîner des situations où il n’y a aucun revenu pendant 16 semaines, « au moment de l’accueil d’un enfant ».
Certes, passées les périodes de confinement et de fermeture complète des scènes, le travail a repris et avec lui la possibilité d’accumuler des heures ouvrant droits au statut d’assurance-chômage de l’intermittence. Pour autant, « les intermittents du spectacle, artistes comme techniciens, ont en réalité un peu retravaillé, mais pas assez, car cela a repris puis s’est à nouveau arrêté. C’est cela qui empêche de revenir à une période où l’on a droit aux indemnités. »
La pandémie de la covid a eu un impact sidérant et questionnant. Il était très important pour la FNCC de dire que l’égalité femme/homme n’est pas une question secondaire en ces temps difficiles. May Bouhada
Depuis, le collectif des matermittentes se félicite d’avoir obtenu au niveau national « une jolie victoire » avec l’allongement de la durée du maintien des droits en cas de reprise d’activité insuffisante de 3 à 12 mois. Reste une difficulté locale liée à des dysfonctionnements internes, et illégaux, des CPAM, selon le bon vouloir de leurs directions. « Nous avons une responsabilité collective, qu’on soit bénévole, occupant, militant, responsable politique à quelque niveau que ce soit, élu.e local.e ou parlementaire pour faire simplement que la loi soit respectée et appliquée. »
Les étudiants. La voix de deux élèves du Conservatoire d’art dramatique de Paris – Angèle Garnier et Olek Guillaume – est autre, davantage en lien avec la jeunesse qu’avec les problématiques d’égalité femme/homme. Non pas que les questions de genre soient en dehors de leurs préoccupations. Simplement, en tant que participantes des mouvements d’occupation des théâtres notamment pour réclamer le prolongement d’un an des indemnités d’assurance-chômage (“l’année blanche”, finalement accordée par le Gouvernement), on leur a expliqué que ce n’était pas l’objet de la mobilisation. « C’est un sujet que l’on a eu du mal à faire entendre au Théâtre de la Colline. Ce n’était pas considéré comme le sujet le plus important. » Pour autant, « en tant que jeune, c’est très dur de se projeter parce qu’on donne moins de subventions aux femmes ou aux minorités de genre. Et ça fait un peu peur. »
La question de l’égalité femme/homme se pose de fait de manière spécifique pour les étudiants, via l’absence de politique ciblée pour accompagner l’entrée dans la vie professionnelle : « Pourquoi il n’y a pas, tout simplement, plus de projets dédiés aux femmes ou aux minorités de genre, des résidences artistiques dans tout le territoire français par exemple, en accompagnement après la sortie des écoles supérieures ? »
La question centrale est ici celle du passage de la situation d’étudiant à celle de professionnelle, sachant qui si les femmes représentent 60% des effectifs des écoles d’enseignement artistique supérieur, elles ne sont que 40% à entrer dans le métier. « Il y a une évaporation des femmes du secteur professionnel. On reste de surcroît dans un seul modèle, très français : le parcours via les grandes écoles – c’est la grande voie –, ce qui pose la question des marges, de l’altérité, de la diversité des parcours, de l’origine des étudiants… », explique Rozenn Bartra, du mouvement H/F. Une focalisation sur une conception univoque de la “carrière” qui en recoupe une autre, géographique. « Il faut aussi penser que le terreau de la France n’est pas seulement celui des métropoles et que tout le territoire peut permettre des résidences, des festivals, des lieux d’émergence et aussi de confirmation – surtout dans un moment où, en plus de la covid, on traverse une crise écologique majeure », note May Bouhada.
Egalité de genre et invisibilité des transgenres. Question posée par le président de la FNCC : « Sur les questions des transgenres, comment cela se mêlent-elles aux problématiques de l’égalité femme/homme ? Un témoignage ? » La prise de parole d’Olek Guillaume – qui se présente d’emblée comme « une personne transgenre non binaire » –, est simple : cette question, pour l’heure, ne se conjugue pas à celle de l’égalité de genre telle qu’elle est conçue, c’est-à-dire de manière binaire, homme ou femme.
Constatant, malgré ses recherches, qu’aucun chiffre n’existe sur les personnes transgenres, Olek Guillaume note que le problème est celui d’une invisibilité, que ce soit dans la vie normale ou dans les mouvements de mobilisation dont le principe premier est d’accroître la visibilité des artistes confrontés aux difficultés de la crise sanitaire. « On n’a même pas les outils pour nommer ces inégalités. Quand, au bout de trois semaines ou un mois, on a essayé de prendre la parole sur les questions de genre et sur nos propres préoccupations, pour alimenter le communiqué sur les revendications, on nous a répondu que ce n’était pas le sujet du moment et qu’il y avait des choses plus essentielles… On ne nous a pas laissé la place. » Et, plus encore que pour les étudiantes, les personnes transgenres vivent une absence quasi-totale de modèle.
Aline César, membre du Syndeac, confirme l’impact négatif d’une absence de modèle dans le développement de sa vie artistique et culturelle. « L’exemplarité, c’est pouvoir grandir et vivre son parcours professionnel avec des noms de metteuses en scène programmées à la Cour d’honneur et que ça infuse le désir de jeunes artistes. » En écho amplifié, cette remarque d’Olek Guillaume : « La majorité des intervenants dans les écoles sont des hommes cisgenres [personnes dont le sentiment d’identité de genre correspond à celui assigné à la naissance], blancs. Vous parlez de la nécessité que des femmes investissent les plateaux, mais c’est difficile quand on n’a pas de représentation à laquelle se référer. »
Soulignant que la crise a poussé chacun « à se refermer sur sa coquille, sur ses territoires intérieurs », May Bouhada ne peut que constater que « les questions que pose la jeunesse, qui sont aussi des questions nouvelles, sont reçues avec raideur. On voit que, même dans le mouvement étudiant, ces questions ne trouvent pas leur place. » Pour Laetitia Guesdon, metteuse en scène et directrice de lieu, il faut « laisser du temps » et accepter que « ça parte dans tous les sens pour pouvoir trouver la lumière. Je suis convaincue que les cultures trans sont l’avenir du renouvellement des formes. Ce n’est pas que politique ; c’est aussi profondément artistique. »
Les techniciennes. La situation spécifique des métiers techniques du spectacle vivant a été posée de la salle par une personne concédant sa difficulté à mobiliser assez de femmes, peu présentes dans les formations techniques, pour donner corps au combat pour l’égalité. Une question centrale et, selon plusieurs intervenantes, encore plus complexe que celle des artistes-femmes, car adossée à une culture masculine en partie liée à des représentations structurellement genrées de ces métiers parfois très physiques. Pour l’élue d’Aubervilliers : « C’est un gros chantier qui doit être pris, à mon sens, dès l’enfance au travers d’une présentation non stéréotypée des métiers. La question se pose dès le plus jeune âge pour susciter des vocations pour ces métiers dits d’homme. » De ce point de vue, Laetitia Guesdon estime que « le chantier des métiers techniques sera encore plus long que celui pour les artistes ».
Aline César, pour sa part, fait porter une part de la solution aux lieux et aux compagnies. A ses yeux, il est important que, dans les offres d’emploi, la volonté de progression vers la parité de la structure recruteuse soit clairement soulignée. « Cela peut avoir un effet incitatif auprès de potentielles candidates. Il ne suffit pas de dire qu’on a une équipe paritaire quand les femmes sont essentiellement aux postes de communication ou d’administration. »
La question de la reconnaissance doit être mise au cœur de nos métiers au travers d’actions fortes mais aussi de beaucoup de tendresse. Il y a un moment où il faudra remettre la tendresse, la convivialité et la reconnaissance au cœur de nos pratiques. Laetitia Guesdon
Lieux, compagnies et comptage. L’adage est désormais bien connu : pour compter, il faut compter. Ce qui, malgré les rapports et les observatoires, reste une nécessité d’actualité. Certes, « il peut paraître aberrant d’encore revenir sur la problématique du comptage. Mais le travail est toujours à refaire, car on reste dans une sorte d’illusion d’égalité » (Aline César). Ce à quoi s’attelle à nouveau le Syndeac dans le cadre de sa volonté d’être force de mouvement à l’intérieur même des théâtres et compagnies. « On pourrait croire que depuis 2016 une conscientisation s’est produite. Ce n’est malheureusement pas le cas. Au Syndeac, la question de la symbolique nous anime fortement. Il faut que l’on sente tout de suite cette diversité, qu’elle soit visible », estime Edouard Chapot.
La méthode adoptée par le Syndeac repose sur l’ensemble des données disponibles pour décompter la présence des femmes sur les plateaux, à la tête des structures ainsi qu’en tant qu’autrices : archives du spectacle, données de l’Observatoire de l’égalité, comptages de l’association H/F… Avec une innovation : l’élaboration d’un “indicateur du potentiel de spectateur”, soit un ratio entre les jauges et le nombre de représentations : deux spectacles donnés dans une petite salle n’équivalent pas à une série de trois semaines dans la grande salle : « En allant au-delà de l’affiche, on pourra dépasser une parité d’apparence en montrant à quelle part du public ont accès les artistes femmes » (Aline César). De ce point de vue, plusieurs interventions notent qu’il importe à la fois de programmer les femmes dans “la grande salle” et, en réaction à une autocensure souvent constatée, de les convaincre qu’elles sont pleinement légitimes pour les investir.
Le témoignage de Laetitia Guesdon a esquissé d’autres voies, moins visibles, qui relèvent davantage d’un état d’esprit que d’une action portant un objectif clairement paritaire. Finalement, de quoi est-il question avec l’exigence d’égalité ? De reconnaissance. Reconnaître la qualité d’artiste des femmes par sa mise en valeur sur les scènes, par les moyens de création alloués, la visibilité et l’accès au public proposés. Mais aussi reconnaître les attentes spécifiques des femmes. Et encore reconnaître en tant que femmes celles qui fréquentent les équipements et accompagner leur désir de s’exprimer elles-mêmes (via des ateliers, par exemple) et non de les considérer seulement en tant que formant une partie du public.
« Quand on construit un festival avec un report de spectacles et qu’on y intègre des élèves de conservatoires parce qu’on sait qu’il y a eu un manque de visibilité, c’est de la reconnaissance. » Quand des tables à langer sont prévues dans les loges aussi. Quand on accueille les questionnements des jeunes femmes dans les moments d’occupation des théâtres également, car « cette jeunesse, qui a choisi le métier le plus difficile du monde, est en train de s’emparer des sujets qui nous inquiétaient toutes quand on avait vingt ans. Il y a là une préoccupation d’avenir dont les lieux, les artistes doivent se saisir. La question de la reconnaissance doit être mise au cœur de nos métiers au travers d’actions fortes mais aussi avec de beaucoup de tendresse. N’oublions pas que c’est animé par l’amour (même si cela peut sembler naïf) que nous faisons ces métiers. Il y a un moment où il faudra remettre la tendresse, la convivialité et la reconnaissance au cœur de nos pratiques. »
Les élu.e.s. La table-ronde avait aussi pour objectif de transmettre aux personnes confrontées aux inégalités de genre le regard attentif que les collectivités désormais leur portent ainsi que le devoir d’accompagnement qui incombe au politique.
« Quand on est élu.e à la culture, donc dans un champ symbolique très fort, on a une responsabilité particulière. C’est une chance », dit May Bouhada. La mobilisation des artistes femmes et des techniciennes a son pendant dans les conseils municipaux. Leur faible visibilité aussi car, même si la loi oblige à la parité, cette égalité est aussi en quelques sorte de façade.
La remarque est faite que les élues n’obtiennent pas toujours les délégations les plus porteuses, celles qui permettent de débloquer des financements, notamment. Les femmes sont souvent à la délégation sociale ou à l’enfance. Pour May Bouhada, il s’agit en effet d’un combat qui passe en priorité par un usage équitable des financements : « Il est de notre responsabilité en tant qu’élu.e.s de veiller au bon usage de l’argent public. »
Quelques pistes d’action pour les élu.e.s : l’analyse de leur utilisation des budgets par les collectivités elles-mêmes, l’éga-conditionnalité qui consiste à subventionner en fonction du critère de l’égalité femme/homme, l’établissement d’indicateurs ainsi que de contraintes, la prise en compte du matrimoine, la sensibilisation des autres élu.e.s, l’exigence d’une orientation délibérée vers davantage de parité dans les objectifs et cahiers des charges des structures sous tutelle territoriale…
Changer le regard. Mais aussi, et ce à la faveur des enseignements de la crise sanitaire, la conscience que le rôle des élu.e.s n’est pas seulement d’être prescripteur mais aussi ressource auprès des artistes et acteurs culturels de leur territoire. La crise a conduit les élu.e.s « à une chose à laquelle nous n’avions jamais pensé », observe May Bouhada : lors de la pandémie, « il a fallu être avec les artistes locaux. La crise a favorisé le contact des services et des élu.e.s avec leur propre territoire. Il faudrait conserver cette relation de proximité. » L’élue de Fontenay-sous-Bois ajoute, dans la perspective d’un chantier de réflexion à venir : « On entend souvent dire qu’on peut ramener la question du droit des femmes à celle des droits culturels. C’est intéressant car là, le système est peut-être en train de changer. »
En écho, cette conviction du président de la FNCC : « Il n’y a pas que des efforts à faire, parfois juste à changer le regard. »